Poèmes écrits lors des fournées à la Ferme des routes (Bésayes).
Ces poèmes sont une sorte de levain, une matière vivante, en mouvement. Je les travaille volontairement très peu – selon le temps que la levée des pâtes me laisse.
Peut-être y reviendrai-je un jour et en ferai un pain nouveau.
Peut-être resteront-ils sous cette forme «potentiel».
Peut-être lèveront-ils ailleurs, à mon insu.
Ecrire et faire du pain relève du même geste.
Un geste d’humilité, de tendresse et dur en même temps.
Si faire du pain, c’est être la pâte, alors écrire, c’est être les mots…
Le vent, engouffré
dans les interstices
bénit nos soliloques
Le pain, lui
lève au coeur des enfants
de la terre
Rien
ne pourra l’en empêcher
Un feu au-dedans
– corps-four –
où cuire
mots et gestes
qui n’on plus lieu d’être
Le vent, engouffré
dans les interstices
bénit nos soliloques
Pluie
ô pluie
apaise nos corps
toi qui sans se lasser
improvises
des mélodies souterraines
Emplis nappes phréatiques, ruisseaux
et rivières
Tes gouttes
seront utilisées avec respect et gravité
pour boire
pour laver les pieds d’une vieille femme
ou le cou d’un nouveau né
Mélangées à la farine, au sel, au levain
elles permettront – le pain –
Pluie
ô pluie
apaise nos esprits
toi qui sans se lasser
nous dis :
Plonge
au-dedans des choses
et n’en ressors que désarmé
Observe avec attention et cherche
les mots justes pour dire
ce qu’il y a à dire
du jour et de la nuit
du silence et de l’ennui
Alors humblement
nous rendrons à la terre
nos urines
Cric Tac Crac Tic
Fait le réveil quand il ne sait plus l’heure
Cric Tac Crac Tic
Font les branches du saule dans le vent du nord
Cric Tac Crac Tic
Font les fusils chargés de peur et d’oubli
Cric Tac Crac Tic
Font mes rêves qui s’étiolent, s’étoilent et filent
Cric Tac Crac Tic
Font mes cellules quand au loin, une buse s’envole
Cric Tac Crac Tic
Fait mon cœur quand ta main se pose sur la mienne
Cric Tac Crac Tic
Le feu crépite !
Le feu crépite !
Cric Tac Crac Tic
Fait le pain en sortant du four
Grains de blé, d’épeautre et de seigle
en attentes
de plonger en terre
Germeront !
Germeront !
cri le soleil
las des humains
qui trop souvent oublient
qu’au fond
ils ne sont ni plus ni moins
vivants
qu’un grain de blé, d’épeautre et de seigle
Chercher le soleil
au-delà des plaines
du silence
Aller au devant de la rencontre
sans peur des
larmes-romarins
qui couleront
quoi que nous fassions
le long de nos
joues asphaltes
Silence
Voix saisit par le vent et les étoiles
Coeur fatigué
Corps las
Silence
Crapahuter sur les marnes bleues
pour voir
enfin
Silence
Le moulin tourne tourne tourne
il moud nos croyances
en une farine
à partager
encore
Drôle de nuit en avance sur son temps
où se rencontrent boulangers et forgerons
qui œuvrent d’un même geste
à ouvrir des espaces où il est possible de dire
Non loin de là
une aigrette, bec levé
voit venir le jour
son silence rencontre nos fragilités
«Courage ! Courage !»
crie-t-elle au milieu du champs nu
«Bientôt ici poussera du blé»
Mais avant même que nous ouvrions les yeux
elle a disparu
Des yeux de James Baldwin coulent nos larmes
oubliées dans une chambre sans fenêtres
De ses mains tombe le pain à rompre – encore –
entre toi et moi
De sa bouche entrouverte sortent des mots à laisser
lever toute une nuit
La lune
haute dans le ciel
nous invite à se taire un moment pour les entendre
«Prends la responsabilité de ton histoire
remonte le cours du ruisseau premier
les ronces t’entourent, mais ce n’est pas un problème
respire
et observe avec courage et honnêteté
ton envie d’être aimé et reconnu»
Du cœur de James Baldwin
jaillit un feu
où il est possible de brûler
ce qui doit être brûlé
L’enfant torse nu
secoue une branche de cerisier
encore lourde de pluie
Il rit
Les gouttes roulent sur sa peau
Il sait qu’au delà de l’instant
ne subsiste que le néant
Prêt à guerroyer au-dedans
il cultive la paix au-dehors
Son sourire est une lune
où se reflète le soleil primordial
Son père vient
un morceau de pain dans la main
qu’il devra rompre
avec humilité
Le pain mystère de nos rencontres
Le pain tendresse de Pablo Neruda
Le pain miroir de Nancy Huston
Le pain corps de Marguerite Duras
Le pain grotte d'Haruki Murakami
Le pain lutte de Goliarda Sapienza
Le pain courage des marcheurs innombrables
Le pain quotidien de Marlène Tissot
Le pain vision de James Baldwin
Le pain justesse de Virginia Woolf
Le pain rituel de Werner Lambersy
Le pain arbre de Toni Morrison
Le pain sacrifié des enfants abusés
Le pain solitude d'Henry Bauchau
Le pain multiplié d'Odysséas Elytis
Le pain terre de Monique Domergue
Le pain rêve-oiseau-lune de Sherman Alexie
Le pain monde d’Édouard Glissant
Le pain écume de Khalil Gibran
Le pain rompu des corps anonymes
à partager
à toute heure du jour
et
de la nuit
Cric Tac Crac Tic
Fait le réveil quand il ne sait plus l’heure
Cric Tac Crac Tic
Font les branches du saule dans le vent du nord
Cric Tac Crac Tic
Font les fusils chargés de peur et d’oubli
Cric Tac Crac Tic
Font mes rêves qui s’étiolent, s’étoilent et filent
Cric Tac Crac Tic
Font mes cellules quand au loin, une buse s’envole
Cric Tac Crac Tic
Fait mon cœur quand ta main se pose sur la mienne
Cric Tac Crac Tic
Le feu crépite !
Le feu crépite !
Cric Tac Crac Tic
Fait le pain en sortant du four
Une main
sur la joue d’un nouveau né
prend des forces
pour les heures à venir
Elle revient sans crainte de l’erreur
au devant de l’expérience
Plongée dans le pâte
elle vibre
danse
et se souvient
des mûres
qu’elle ramassait avec joie
pour la bouche
Bientôt, elle frappera le dos d’un pain
Toc Toc Toc
C’est cuit ?